L’ENVOLÉE
Dessins, peintures et sérigraphies, galerie de l’association pour l’estampe et l’art populaire, septembre 2020.
Cette exposition est traversée par les images qui parcourent nos vies au détour d’une page de journal. Ici, ce sont des photos de footballeurs et de footballeuses en suspension dans les airs, cheveux au vent et mains touchant le ciel. Dans cette exposition, ces photos sont reprises en dessins, peintures et sérigraphies, en développant deux hypothèses graphiques. La première s’appuie sur le polygone, petite forme d’image nichée dans l’image qui cherche à se déployer côté par côté, comme un motif en respiration, se refermant parfois sur lui-même pour revenir à la forme ronde et rebondissante du ballon d’origine. La seconde, c’est l’élan vital, la ligne graphique qui se perd dans les nuages et les corps défiant la loi de l’apesanteur. Chaque dessin, chaque sérigraphie de cette exposition transforme ces photos de football en décalque imaginaire d’un envol. Il s’agit bien d’une envolée. De l’envolée.
Delphine Gauly peint des footballeurs femmes et hommes, à l’occasion de ces rencontres visuelles, fortuites avec des corps en mouvement saisis comme on pose la main sur le ballon, dans l’instant photographique. Ces poses se défont et s’agrègent de multiples couches et traits dessinés à l’encre de chine, patiemment.
Delphine Gauly repère parmi des dizaines de photos sur une table, une suspension, ce mouvement arrêté en plein vol, comme un écho lointain de positions dont on pourrait rêver une suite visuelle, pour donner corps à l’imaginaire. Chaque mouvement est ensuite dessiné avec le soin d’une mousse des bois tenue dans ses mains, écumant par couches successives toutes les fines strates qui constituent l’appel du geste aérien. C’est ce qui est en jeu dans les séries sérigraphiées ou en risographie : qu’ils soient doubles d’eux-mêmes, enserrés dans des paysages intérieurs, ou révélés par la surimpression colorimétrique, chaque corps en suspens nous donne à voir en creux le soulagement de parvenir à lever les yeux vers le ciel déchirant l’horizon.
Autre hypothèse graphique, tout le monde sait l’angoisse du gardien de but au moment du penalty, Peter Handke le premier. Il faut voir le ballon flotter dans l’instant, prendre son élan vers le ciel encore pour saisir la gonfle, poser les mains sur le cuir comme on reprend pied dans sa vie. Saisir le ballon pour rattraper le temps perdu, comme on arrêterait un ballon qui aurait pris vie dans un monde clos, circulaire, un univers entier que l’on tiendrait enfin dans ses mains, objet de convoitise, filtre imaginaire de nos désirs. Delphine Gauly crée des ballons comme des boules de cristal qui décryptent ces filtres au fil des couches de peinture, de sérigraphie et de couture. De ces polygones assemblés pour former une sphère, Delphine Gauly les met à plat, comme on décomposerait le mouvement, pièce par pièce pour reconstituer un nouveau puzzle.
Enfin, elle travaille avec l’idée tenace que le dessin est une machine à vivre qui a autant à faire avec la main à l’encre de chine qu’avec la risographie ou la sérigraphie où l’acte machinique prend le relais et déporte l’effort. En mêlant peintures et techniques machiniques, L’envolée s’inscrit dans une impression au sens large : imprimer tout autant que tracer.
Au cœur de ce mouvement, s’envolent effluves et polygones, paysages et corps en apesanteur.